Pesticides et pollinisateurs

Déclin des pollinisateurs

Les néonicotinoïdes sont une classe de produits toxiques employée comme insecticides agissant sur le système nerveux central des insectes. Ces substances sont utilisées principalement en agriculture pour la protection des plantes (produits phytosanitaires) mais aussi par les particuliers ou les entreprises pour lutter contre les insectes nuisibles à la santé humaine et animale (produits biocides). Wikipedia

Depuis l’introduction des insecticides néonicotinoïdes, les trois quarts des populations d’insectes volants ont disparu, entre 1989 et 2017. Au cours de ces vingt-sept dernières années, ni l’évolution des températures ni celle des précipitations, du nombre de jours de gel, de l’éclairage, de la quantité d’azote dans les sols ou du couvert végétal ne permettent d’expliquer un tel effondrement de la population d’insectes (entomofaune). Ce déclin coïncide avec l’introduction des nouvelles générations de pesticides systémiques – néonicotinoïdes et fipronil – utilisés de manière préventive en enrobage de semences, sur des millions d’hectares de grandes cultures.

Les autorisations de mises sur le marché ne se basant que sur les tests de l’abeille mellifère, la sensibilité des pollinisateurs sauvages est restée dans l’oubli jusqu’en 2013, où lEFSA demande que soient pris en compte aussi des pollinisateurs sauvages comme les bourdons et les abeilles solitaires.

Le site de l’EFSA (European Food Safety Authority) ou Autorité européenne de sécurité des aliments
Le site de l’EASAC ou European Academies Science Advisory Council

En 2015, l’Easac, publiait un rapport sur les néonicotinoïdes, estimant qu’« il existe des preuves claires que de très faibles niveaux de néonicotinoïdes ont des effets sublétaux de longue durée sur des organismes bénéfiques… ».

Le rapport souligne la plus grande fragilité des pollinisateurs sauvages face au stress chimique – comparée à celle des abeilles domestiques, dont l’organisation sociale complexe permet des marges d’adaptation et une résilience que n’ont pas les autres insectes. « Il est probable que, à partir du moment où les abeilles domestiques ont commencé à décliner, des dégâts bien plus grands étaient déjà consommés pour les autres pollinisateurs », explique Michael Norton, qui a coordonné le rapport de l’Easac.

La disparition de l’abeille mellifère

Pour expliquer le déclin de l’abeille mellifère, le rôle des mauvaises pratiques apicoles a commodément été monté en épingle par les milieux de l’agro-industrie et de l’agrochimie. Or les abeilles domestiques ne sont pas les seules à être en mauvaise santé et les bourdons, les papillons, les syrphes, etc. déclinent de manière bien plus alarmante. Or, ces insectes sont des espèces sauvages et de prétendues mauvaises pratiques apicoles n’ont rien à voir avec leur déclin. De très nombreux éléments de preuves pointent vers les néonicotinoïdes comme cause majeure.

La mise en place de nouveaux tests réglementaires apparaît indispensable, capables d’évaluer correctement les effets délétères des pesticides sur les abeilles et les pollinisateurs, avant leur autorisation de mise sur le marché. On sait depuis un rapport d’experts de 2003 que ces tests réglementaires sont aveugles, mais rien n’a jusqu’à présent vraiment changé sur ce front. Basés sur la toxicité aiguë des substances (fortes concentrations sur courte durée et mortalité brutale), les réglementations ne sont pas adaptées au cas de l’abeille. Celle-ci se trouve soumise sur le long terme à de faibles concentrations de molécules diverses, et dont l’effet délétère se traduit, entre autres, par un affaiblissement progressif, caractéristiques d’une la toxicité chronique.

Persistances des substances

Pour un peu on regretterait le DDT
Article paru il y a 3 ans sur le site web du REPPI comparant la nocivité de quelques pesticides comparée à celle du DDT

Les néonicotinoïdes sont les insecticides parmi les plus efficaces jamais synthétisés, utilisés pour une large part de manière préventive et systématique, en enrobage de semences, sur des millions d’hectares de grandes cultures. Ils possèdent une toxicité chronique très supérieure à leur toxicité aiguë, avec un spectre d’action très large et ciblent tous les insectes. Persistants dans l’environnement, les néonicotinoïdes sont solubles dans l’eau et peuvent ainsi être transportés loin au-delà de leur lieu d’application, et se retrouver dans des cultures non traitées (parcelles « bio »). Les études françaises ont mis en évidence, que les années pluvieuses coïncident avec l’étendue de la contamination des parcelles. Si dans la plupart des cas, les traces détectées sont faibles (entre 0,1 et 1 ng/mL) parfois, « les concentrations maximales dépassaient celles rapportées dans les parcelles traitées, allant jusqu’à 70 ng/mL ». Ces contaminations présentent un risque de mortalité non négligeable pour les abeilles (domestiques ou solitaires), les bourdons et autres pollinisateurs, souligne le CNRS.

Les néonicotinoïdes étant des molécules dites « systémiques » (qui imprègnent tous les tissus de la plante), elles peuvent être réabsorbées par la végétation poussant sur des sols contaminés. Un constat étayé par plusieurs travaux récents, montre notamment que le nectar et le pollen des fleurs sauvages poussant aux marges des parcelles traitées sont une voie d’exposition importante des abeilles à ces produits. Dans leur très grande majorité, les taux de contamination des pollens et nectars testés sont inférieurs à 1 partie par milliard (ppb). Mais les concentrations peuvent aussi être spectaculaires. En 2016, en deux occasions, les chercheurs ont trouvé plus de 45 ppb d’imidaclopride dans les échantillons testés soit plus de cinq fois la concentration de produit attendue dans le nectar ou le pollen de colzas traités. Il faut rappeler l’interdiction de traiter le colza d’hiver depuis 2013, et pourtant l’imidaclopride a été détecté depuis chaque année, en 2015, 5 % des parcelles étaient positives. En 2016, elles étaient plus de 90 % à contenir des résidus de néonicotinoïde.

Il serait faux de penser que la suppression de ces intrants se traduira immédiatement par un retour à la situation antérieure. D’une part, parce que ces produits sont très persistants dans l’environnement (par exemple, le temps nécessaire à la dégradation de la clothianidine peut aller jusqu’à une vingtaine d’années dans certains sols et sous certaines conditions climatiques). D’autre part, parce que les écosystèmes sont des systèmes complexes : lorsqu’une catégorie d’organismes en a été ôtée, d’autres bouleversements peuvent se produire et ralentir le retour ultérieur de ces organismes.

Nouvelles molécules fongicides et risques

Qu’est-ce que les SDHI ?
SDHI est un sigle qui désigne les inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (en anglais succinate dehydrogenase inhibitor). C’est une sous-classe de pesticides, utilisés dans l’agriculture. Plusieurs études tendent à démontrer la toxicité des SDHI sur les vers de terre, les pollinisateurs comme les abeilles, les poissons, les grenouilles ou encore l’être humain. (d’après Wikipedia)

Les données transmises par le biologiste Pierre Rustin (CNRS) et ses collègues (revue PLoS One) montrent, sur des cultures cellulaires, que les substances appartenant à la famille des SDHI ne ciblent pas seulement les champignons et les moisissures, mais une diversité d’organismes comme l’abeille domestique, le lombric ou l’être humain.
L’action de ces molécules n’est pas spécifique. Les scientifiques redoutent que le mécanisme ciblé par ces produits phytosanitaires n’élève les risques de certains cancers et de maladies neurodégénératives comme Alzheimer ou Parkinson. Selon les chercheurs, le recul n’est pas suffisant sur les usages actuels de plusieurs de ces produits pour pouvoir se fonder sur des données épidémiologiques relatives aux personnes exposées. Sur les onze substances en question, huit ont été autorisées pour la première fois il y a moins de dix ans.

Interdictions et mises en garde

« Les alertes des apiculteurs français, consécutives à l’utilisation des néonicotinoïdes, remontent à 1994, et force est de constater que, depuis, la réglementation n’a pas vraiment évolué » déplore Martin Dermine, chargé de mission à l’ONG Pesticide Action Network-Europe (PAN-Europe).

En 2018, l’Union européenne a pris un moratoire restreignant l’usage de trois néonicotinoïdes (la clothianidine, l’imidaclopride et le thiaméthoxame) sur les cultures attractives pour les abeilles. En 2018, la France a décidé d’aller plus loin en étendant les restrictions à cinq néonicotinoïdes (ajoutant l’acétamipride et le thiaclopride à la liste des restrictions) et à toutes les cultures en extérieur. Malgré ces mesures, ces insecticides seraient encore présents sur des cultures non traitées et des fleurs sauvages, révèlent des chercheurs dans une étude publiée le 28 novembre 2019 sur le site Science of the Total Environment.

En France, un décret, publié le 31 décembre 2019, interdit l’utilisation du sulfoxaflor et de la flupyradifurone, deux substances phytopharmaceutiques au mode d’action identique à celui des néonicotinoïdes.

Comme toutes les autres propositions de l’EFSA, les tests sur des pollinisateurs sauvages, s’ils sont maintenus dans les futures recommandations de l’agence, ne seront pas discutés par les Etats membres avant l’été 2021. Presque une décennie après que l’alerte a été officiellement lancée sur la cécité des tests réglementaires actuels.

La mise en garde des chercheurs relative aux pesticides SDHI (« inhibiteurs de la succinate déshydrogénase » voir encadré ci-dessus) doit être prise au sérieux. La Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement (cnDAspe), une instance officielle indépendante constituée de 22 experts bénévoles, a publié, mardi 19 novembre, un avis estimant que l’alerte, lancée par une dizaine de scientifiques fin 2017, sur les dangers de cette famille de fongicides, est fondée, étayée par « des données scientifiques de qualité ». Les informations fournies par les auteurs de l’avertissement, précise l’avis, « posent un doute sérieux sur des dangers qui ne sont actuellement pas pris en compte dans les procédures de toxicologie appliquées selon la réglementation européenne ».

Affaire à suivre donc.

Geneviève Arzul (GDSA-29)